Triste jour que ce dimanche 17 mai 2020...
Nous en sommes au Népal au 55ème jour de confinement et la nouvelle tombe : les 2 premiers décès aux suites du Covid-19 viennent d'être annoncés. Une jeune maman de 29 ans, ayant donné naissance à un enfant 11 jours plus tôt et un jeune homme de 25 ans. L'une étant native de Bharabesi, dans le district de Sindhupalchok, l'autre était au centre de quarantaine de Narainapur, dans le district de Banke.
Le relativisme permanent des Népalais et leur positivisme sont ébranlés. Le virus est bel et bien arrivé au Népal et il s'est propagé dans maintenant presque toutes les régions du pays.
Au cours de ces presque 2 mois de confinement, l'Etat, conscient de son incapacité totale à faire face à une épidémie, avait pourtant pris des mesures extrêmes pour tenter coûte que coûte de ne pas permettre la propagation du virus.
Un confinement militaire a à cet effet été établi dès le 24 mars, avec notamment une interdiction totale de tout mouvement inter-région, pas de circulation dans les rues de Kathmandu, interdiction de sortir de chez soi quel que soit le motif, fermeture de tous les commerces sans exception, barrages de Police à tous les carrefours, rondes dans les quartiers,...
Les premiers jours, le confinement était impressionnant. Pas âme qui vive dans les rues, seuls déambulaient les touristes en quête d'un hébergement et d'un vol de rapatriement vers l'Europe.
Les cas de Coronavirus étaient extrêmement rares, parfois même aucun certains jours.
Seulement, les semaines passant, quelques rares cas étant annoncés sporadiquement, le confinement s'est assoupli de jour en jour en les Népalais ont pris de plus en plus d'aise pour en arriver parfois à se demander si nous étions en confinement. Mais ce n'est pas cela qui a provoqué la situation d'aujourd'hui, mais bien les mouvements internationaux avec l'Inde.
Nous tentons de vous expliquer le contexte.
les rares cas étant Les rares cas répertoriés arrivaient d'une majorité écrasante d'Inde.
Le grand voisin du Népal, lui aussi confiné et de manière extrême également, vit dans le même temps un drame humanitaire sans précédent. Des dizaines de millions de personnes à emplois précaires se sont retrouvées du jour au lendemain sans travail, sans argent et avec pour seule option le retour au village, parfois à l'autre bout du pays.
Pour eux, ce n'est pas le virus qui les guette, mais la famine.
Dans les grandes métropoles du pays, ce ceux des millions de gens qui se lancent dans un exode, s'attroupent et s'entassent dans les gares routières. Mais fatalement, pour l'essentiel d'entre eux, le voyage se fera à pied puisque les quelques milliers de bus affrétés par les autorités ne représentent qu'une infime part des personnes à évacuer...
Pour certains, cela se solde par des centaines de kilomètres de marche. Et dans ceux-ci se trouvent bien sûr des Népalais, dont la seule option est de quitter l'Inde au plus vite, rentrer chez leurs proches et tenter de survivre tant bien que mal.
Au sein du Népal, c'est le même effet qui se produit, mais plus dans le calme et la clandestinité.
Petit à petit, le nombre de cas provenant d'Inde s'est intensifié, au point d'en arriver début mai à un nombre d'arrivées journalières dans la Vallée de Kathmandu avoisinant les 5700 personnes !
De nuit, à la nage, à pied, dans des camions de fret, tous les moyens ont été utilisés pour traverser la frontière clandestinement, puis gagner la capitale Népalaise, centre névralgique du pays.
Dans toutes les régions du pays, les centres de quarantaine, aménagés dans l'urgence, n'ont aucune méthode, encadrés par des personnes qui n'ont aucune capacité, ni médicale, ni sanitaire. Sans parler du manque flagrant de lits face aux dizaines de personnes qui vont et viennent chaque jour, placées en quarantaine faute de tests PCR disponibles (au 15 mai, 12 316 tests ont été réalisés, pour une population de 32 millions d'habitants...).
Face à ces remplissages anarchiques, aux fuites nocturnes des isolés et à la pression migratoire générale hors de contrôle, bon nombre de ces migrants sont parvenus à regagner leurs villages, en voyant leur quarantaine écourtée, parfois même annulée et presque toujours sans être dépistés.
Le tout, dans un contexte général positif, voire presque naïf, avec cette idée que les Népalais semblent être épargnés plus que les autres. De nombreuses théories ont même été lancées sur ce sujet, pour tenter d'expliquer l'exception Népalaise...
Aujourd'hui, le nombre de cas reste "faible", avec 291 cas positifs, dont 36 personnes rétablies et 2 décès.
Mais il ne faut pas se leurrer, les choses vont s'intensifier et tourner au drame. Pour plusieurs raisons.
Premièrement, le virus est maintenant hors de contrôle au Népal, avec presque toutes les régions concernées, dont la capitale Kathmandu. Ceci s'explique par les mouvements migratoires des dernières semaines, mais aussi la capacité récente à dépister, grâce aux 10 000 tests PCR offerts par Singapour, 30 000 par la Suisse et vraisemblablement plusieurs milliers par la Chine. De fait, Les autorités viennent tout juste d'annoncer que sous 7 jours nous devrions arriver à 1 000 cas positifs et 2 000 dans 10 jours... Nul ne sait donc jusqu'à combien cela peut monter. Les autorités de santé ont ajouté que 1 000 est la capacité maximale de prise en charge de personnes contaminées dans tout le pays. A partir de 2 000 cas avérés, ce sera tout simplement confinement à la maison pour les cas asymptomatiques et traitement en hôpital des cas sévères.
L'ambiance générale n'est donc plus du tout au positivisme si caractéristique des Népalais, mais plutôt à la peur et à la confusion la plus totale.
De plus, il faut rappeler que nous sommes bientôt dans le troisième mois de confinement, dans un pays sans aucun système social, médical et administratif. La perte d'emploi de plusieurs millions de personnes est en train de créer une crise de liquidités sans précédent. Des millions de gens n'ont pas eu de rémunération depuis 2 mois et bon nombre d'entre eux n'ont plus aucune liquidité pour subvenir aux besoins journaliers. C'est sans doute ce problème qui risque de causer plus de mal au Népal que le virus lui-même et pourrait conduire à des émeutes si rien n'est fait rapidement.
La famine guette de plus en plus de gens, il est important que des banques alimentaires soient organisées massivement.
Les Népalais sont d'un calme exemplaire, ils relativisent beaucoup, font preuve de résilience et ont déjà connu de nombreuses crises dans leur histoire, mais leur patience n'est pas infinie...
Des distributions de nourriture sont déjà opérées, mais de semaine en semaine ce sont des files qui s'agrandissent.
Et puis, c'est le cas du monde entier, mais la crise économique qui va suivre va littéralement balayer le Népal qui dépend à 60 % de l'aide internationale et des fonds étrangers. L'interruption totale d'activité du pays, conjuguée à l'arrêt du tourisme (qui représente 10 % du PIB du Népal) pour une durée indéterminée, vont faire mal à l'économie.
Les Népalais de l'étranger sont eux aussi dans une situation financière précaire ; la plupart exerçant une activité professionnelle non qualifiée et souvent non-essentielle pour les pays en question. Bon nombre de ces salariés, souvent des pays du Golfe, d'Australie, du Japon,... se retrouvent eux aussi sans emploi, avec parfois un visa expiré et sont dans une situation incertaine provoquant un blocage soudain des transferts de fonds vers le Népal. Le phénomène est loin d'être mineur puisqu'on estime que 10% de la population Népalaise vit à l'étranger, soit plus de 3 millions de personnes. Les transferts de devises à destination du Népal provenant des Non-Resident Nepali (Népalais vivant à l'étranger) représentent 30 % du PIB du Népal.
Du côté des touristes internationaux, le Ministère des affaires étrangères estime que 4 874 personnes (notamment 425 Français, 114 Suisses et 65 Belges pour les pays francophones) ont été évacuées, malgré la fermeture totale de l'aéroport international de Kathmandu, grâce à la collaboration entre l'Etat Népalais et les grandes ambassades étrangères. Ainsi, ce sont pour l'instant 34 avions de passagers et 17 cargo qui auraient été affrétés. Pour les Européens, l'Ambassade de France a organisé 3 avions, l'Allemagne 4 et la République Tchèque 1.
Au jour d'aujourd'hui, il semble que les Ambassades Européennes ne projettent plus de vol d'évacuation, mais tous les touristes n'ont pas été évacués. Difficile de dire combien il en reste, mais une rumeur de vol à destination des USA annonce un avion complet et encore nombreux semblent être les Européens en attente d'un rapatriement vers chez eux.
Il me semble que 500 touristes internationaux ne doit pas être un chiffre loin de la vérité, concernant le nombre de personnes encore bloquées au Népal.
Pour conclure, comment ne pas évoquer 2015 et le tremblement de terre ravageur qui a tué quelques 9 000 personnes. Dans ce contexte de crise sanitaire, nombreux sont les Népalais à repenser aux durs moments qu'ils ont pu connaître dans le passé. Cinq ans après cet événement, presque jour pour jour, le Népal est tout juste en train de finir de se reconstruire qu'à nouveau la nature se déchaîne, non pas uniquement sur ce petit pays, mais désormais sur le monde entier.
Mais ce petit pays, coincé entre l'Inde et la Chine, risque de connaître des jours bien plus difficiles qu'ailleurs si la crise économique mondiale se déclare comme on l'annonce dans les médias.
L'UNICEF a dors et déjà annoncé que la prolongation du confinement Népalais pourrait provoquer le décès de 4 000 enfants depuis le début du confinement ; mais comment choisir de déconfiner alors que le pic est encore bien loin devant nous et que les hôpitaux n'ont qu'une capacité d'accueil de 1 000 personnes...
Au moment où cet article est rédigé, l'Etat vient officiellement de reconduire le confinement jusqu'au 2 juin, il va sans dire que cela sera encore prolongé par la suite. Plus aucun avion commercial ne vole, des touristes sont encore bloqués et on ressent leur agitation sur les groupes Whatsapp. Eux aussi s'étaient sentis en sécurité au Népal depuis le début du confinement, au point pour certains de refuser d'être évacués vers leur pays. Ils viennent aujourd'hui de prendre conscience de l'ampleur du problème et doivent mesurer l'erreur qu'ils ont faite...
Voyons tout de même les bons côtés :
La nature n'a jamais été aussi resplendissante, calme et résiliente. Seulement quelques semaines d'arrêt de l'activité humaine démontrent que notre impact global est bien trop important et inéluctable. La nature quant à elle reprend ses droits de manière immédiate et c'es très encourageant.
Pour la première fois depuis des années, on peut revoir l'Everest, tout petit, depuis Kathmandu. L'air y est respirable et la pollution aux particules est retombée en-dessous de 80 mg (contre souvent 300 mg sur les grandes artères en heure de pointe).
Que cette période nous serve à tous pour réfléchir sur le monde qu'on désire et quel avenir donner à nos enfants qui, si on n'agît pas immédiatement, connaîtrons eux aussi des crises sanitaires et sociale de bien plus grande ampleur que la crise actuelle.
Réfléchissons, décidons, agissons.